Quand on me parle de gorgonzola, j’ai toujours cette petite pointe de frustration. Pourquoi ? Parce que 90% des gens ne connaissent que la version industrielle qu’on trouve partout. Mais le vrai gorgonzola, celui qui mérite le respect, c’est le gorgonzola à la louche. Et croyez-moi, c’est un monde à part.
Qu’est-ce que le gorgonzola à la louche exactement ?
Le gorgonzola à la louche, ou « gorgonzola al cucchiaio » en italien, c’est la version traditionnelle de ce fromage mythique. La différence ? Tout est dans le nom : le caillé est transféré dans les moules à la louche, manuellement, contrairement aux méthodes industrielles qui utilisent des pompes et des machines.
Cette technique ancestrale, qui date du 12ème siècle, donne un fromage complètement différent. Là où le gorgonzola industriel est standardisé, uniforme, le gorgonzola à la louche garde toute son âme artisanale.
La fabrication : pourquoi la louche change tout
Après 15 ans dans le métier, je peux vous dire que la méthode de fabrication fait toute la différence. Voici comment ça se passe :
Le caillage lent : Le lait est acidifié naturellement, sans ajout d’acides. Le caillage prend 12 à 24 heures, contre 2-3 heures en industriel.
Le transfert à la louche : C’est là que la magie opère. Chaque louche de caillé est délicatement placée dans le moule. Pas de pression, pas de pompage violent qui casse la structure. Le caillé garde sa texture naturelle, ses irrégularités.
Le salage à sec : Pas de saumure industrielle. Le sel est appliqué à la main sur chaque fromage, face par face.
L’affinage en cave naturelle : 2 à 4 mois minimum dans de vraies caves, pas des chambres froides. L’humidité, les courants d’air, tout est naturel.
Le résultat ? Un fromage vivant, avec une personnalité unique à chaque meule.
Où trouver du vrai gorgonzola à la louche ?
C’est là que ça se complique. Le gorgonzola à la louche, c’est devenu rare. Très rare même.
En Italie : Direction la Lombardie et le Piémont, dans les vallées autour de Bergame et Milan. Quelques producteurs comme la famille Gerbino à Taleggio ou l’Azienda Agricola Sociale de Galbiate continuent la tradition.
En France : Franchement, c’est la galère. Quelques crémeries spécialisées dans le 7ème à Paris, certains MOF fromagers qui importent directement. Comptez 35-45€ le kilo minimum.
Les indices pour le reconnaître :
- Prix élevé (si c’est donné, c’est pas du à la louche)
- Aspect irrégulier, pas de forme parfaite
- Mention « produzione artigianale » sur l’étiquette
- Croûte naturelle rugueuse, jamais lisse
Les particularités qui font la différence
Visuellement, impossible de les confondre quand on sait regarder :
La pâte : Plus hétérogène, avec des zones plus crémeuses et d’autres plus fermes. Les veines de pénicillium ne sont pas uniformes, elles suivent les cassures naturelles du caillé.
La croûte : Rugueuse, irrégulière, parfois avec des traces de paille (les fromages sont retournés sur des nattes). Rien à voir avec la croûte lisse et orange du gorgonzola industriel.
La texture : Plus fondante, presque coulante au centre quand il est bien fait. Le gorgonzola industriel reste ferme et compact.
Le goût : une palette complexe
C’est là que je deviens lyrique. Le gorgonzola à la louche, c’est une symphonie gustative :
En attaque : Douceur lactique, crème fraîche En milieu de bouche : L’amertume caractéristique arrive progressivement, mais sans agressivité En finale : Notes de noisette, parfois une pointe salée
L’astuce de fromager : goûtez d’abord la partie blanche (sans bleu), puis une partie avec les veines. Vous comprendrez la complexité du fromage.
Comment le déguster comme un pro
Température : Sortez-le du frigo 1h avant. À 18-20°C, il révèle tous ses arômes.
Accompagnement :
- Du pain de noix ou aux figues
- Un miel d’acacia ou de châtaignier
- Des poires williams bien mûres
- Des noix fraîches (accord magique !)
Vins : Oubliez les rouges tanniques. Optez pour :
- Sauternes (accord classique)
- Barolo jeune (si vous restez en Italie)
- Gewurztraminer vendanges tardives
- Même un bon Champagne demi-sec
Les recettes qui subliment ce fromage
Risotto au gorgonzola à la louche : LA recette mythique. Ajoutez le fromage en fin de cuisson, hors du feu. Il fond naturellement et donne une texture veloutée incomparable.
Sauce pour pâtes : Crème fraîche, gorgonzola, noix concassées. 5 minutes de cuisson max, sinon il devient graisseux.
Polenta crémeuse : Incorporez des cubes de gorgonzola dans la polenta chaude. Un délice lombard authentique.
Tarte fine aux poires : Pâte brisée, lamelles de poires, morceaux de gorgonzola, miel. 20 minutes au four. Magique en entrée.
Conservation et achat : mes conseils pratiques
À l’achat : Demandez à goûter. Un bon gorgonzola à la louche ne pique jamais trop. S’il vous brûle la langue, c’est qu’il est mal conservé.
Conservation : Papier cristal + papier alu. Jamais de plastique ! Il a besoin de respirer. 2-3 semaines facile au frigo.
Quand le consommer : Contrairement aux idées reçues, il se bonifie 2-3 jours après achat. Les saveurs se développent.
Pourquoi ça coûte plus cher ?
Simple : temps, savoir-faire, rendement. Là où une usine sort 1000 gorgonzolas par jour, l’artisan en fait 50. Le lait coûte plus cher (local, meilleure qualité), l’affinage est plus long, les pertes plus importantes.
Mais franchement, quand vous goûtez la différence, vous comprenez. C’est comme comparer une Twingo et une Ferrari. Ça fait le même travail, mais l’expérience n’a rien à voir.
Mon verdict de fromager
Le gorgonzola à la louche, c’est le fromage qui m’a fait comprendre pourquoi j’aimais ce métier. C’est de l’artisanat pur, du terroir, de l’authenticité. Dans un monde où tout s’uniformise, c’est un petit miracle que ça existe encore.
Si vous avez l’occasion d’en goûter, n’hésitez pas. Même si ça coûte le prix d’une bouteille de bon vin, c’est un voyage culinaire qui vaut le détour. Et vous comprendrez enfin pourquoi nous, les fromagers, on se bat pour préserver ces savoir-faire.
Trust me, une fois qu’on a goûté le vrai, on ne peut plus revenir en arrière.