Pourquoi certains fromages sont-ils rouges : Les secrets de la coloration

Deux phénomènes distincts pour une couleur rouge

Lorsqu’on évoque les fromages rouges, on parle en réalité de deux univers fromagers complètement différents. D’un côté, nous avons les fromages dont la pâte elle-même est colorée artificiellement, créant des teintes allant de l’orange vif au rouge profond. De l’autre, nous découvrons les fromages à croûte naturellement rouge-orangée, où cette coloration résulte d’un processus biologique fascinant orchestré par des micro-organismes spécialisés.

Cette distinction fondamentale influence non seulement l’apparence visuelle du fromage, mais transforme également son profil aromatique et sa texture de manière radicalement différente.

Les fromages rouge-orange : l’art ancestral du colorant naturel

Le rocou, trésor des tropiques

La couleur flamboyante de la Mimolette provient d’un colorant naturel exceptionnel : le rocou, extrait du roucouyer (Bixa orellana). Cet arbre tropical originaire d’Amérique du Sud produit des fruits épineux renfermant de précieuses graines rouges. Ces graines contiennent deux pigments remarquables : la bixine, liposoluble qui développe des tons rouges intenses, et la norbixine, hydrosoluble qui génère des nuances jaune-orangé.

L’utilisation du rocou dans la fromagerie européenne remonte au XVIIème siècle, époque où l’expansion du commerce colonial permit l’importation de ce colorant révolutionnaire. Les fromagers découvrirent alors qu’ils pouvaient transformer leurs fromages blancs traditionnels en créations visuellement saisissantes, sans altérer leur goût authentique.

L’héritage coloré de nos terroirs

La Mimolette représente l’exemple le plus emblématique de cette tradition coloriste, mais elle n’est pas isolée. Le Cheddar anglais arbore fièrement ses teintes orangées grâce à ce même procédé, tout comme certaines variantes de Gouda néerlandais. Cette pratique répondait initialement à des considérations commerciales : différencier visuellement ses produits sur les marchés concurrentiels de l’époque.

L’ajout de rocou intervient directement lors de l’emprésurage, permettant une répartition homogène du colorant dans toute la masse du caillé. Cette technique ancestrale perdure aujourd’hui, perpétuant une tradition séculaire qui lie l’Amérique tropicale aux plateaux fromagers européens.

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Les fromages à croûte rouge : la magie bactérienne de Brevibacterium linens

Le « ferment du rouge », architecte de saveurs

Contrairement aux idées reçues, la magnifique croûte rouge-orangée du Munster, du Maroilles ou de l’Époisses ne résulte d’aucun ajout artificiel. Cette coloration spectaculaire naît de l’activité métabolique de Brevibacterium linens, une bactérie halophile (qui apprécie le sel) surnommée « ferment du rouge » par les fromagers.

Cette bactérie remarquable transforme littéralement la surface du fromage en un écosystème vivant. Elle se nourrit des protéines présentes à la surface, produisant des composés aromatiques complexes tout en développant ses caractéristiques pigments rouges. Ce processus biologique s’accompagne de modifications profondes de la texture, créant cette fameuse consistance crémeuse sous la croûte que recherchent les amateurs.

L’art du lavage et de l’affinage

Le développement de Brevibacterium linens nécessite des conditions environnementales précises que maîtrisent parfaitement les affineurs. Les fromages subissent des lavages réguliers avec une saumure adaptée, parfois enrichie de cultures spécifiques de cette bactérie bénéfique. Cette attention constante pendant plusieurs semaines d’affinage permet l’épanouissement complet des arômes et de la coloration caractéristique.

Le Munster-Géromé bénéficie ainsi de lavages à l’eau salée enrichie de ferment rouge, développant progressivement sa croûte emblématique. Le Maroilles du Nord suit un protocole similaire, tout comme l’Époisses bourguignon lavé parfois au marc local. Chaque terroir apporte ses subtilités au processus, créant des variations infinies autour du même mécanisme biologique fondamental.

Patrimoine fromager : entre tradition commerciale et alchimie naturelle

L’expression de deux philosophies fromagères

Ces deux approches de la coloration rouge reflètent des philosophies fromagères distinctes. Les fromages colorés au rocou privilégient l’impact visuel immédiat et la reconnaissance commerciale, préservant intégralement les caractéristiques gustatives originelles du fromage. Cette démarche respecte l’équilibre gustatif traditionnel tout en créant une identité visuelle forte.

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À l’inverse, les fromages à croûte rouge embrassent la transformation biologique comme vecteur d’excellence gustative. Ici, la couleur devient le témoin visible d’un processus d’affinage complexe qui métamorphose complètement le caractère du fromage. L’odeur prononcée, la texture fondante et les saveurs intenses résultent directement de cette alchimie bactérienne.

Reconnaissance et dégustation

Pour l’amateur éclairé, distinguer ces deux familles de fromages rouges devient un jeu d’observation sensorielle. La répartition de la couleur constitue le premier indice : uniformément distribuée dans la pâte pour les fromages au rocou, strictement localisée sur la croûte pour les productions à Brevibacterium linens.

L’approche olfactive révèle immédiatement la nature du fromage : neutralité aromatique caractéristique des fromages colorés artificiellement, contre la puissance olfactive distinctive des croûtes lavées. Enfin, la texture tranche définitivement : fermeté des pâtes pressées colorées face à l’onctuosité crémeuse des fromages à croûte rouge naturelle.

Cette dualité des fromages rouges illustre parfaitement la richesse de notre patrimoine fromager, où tradition commerciale et excellence artisanale coexistent harmonieusement pour le plus grand plaisir des connaisseurs.

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