Pourquoi le Comté est-il si cher ? – Les vrais coûts cachés expliqués par un fromager

« 35 euros le kilo pour du Comté vieux, c’est du vol ! » – Voilà ce que j’entends régulièrement au comptoir. Et je comprends la surprise face au prix. Mais après 15 ans dans la fromagerie, laissez-moi vous expliquer pourquoi ce tarif n’a rien d’abusif. Il reflète une réalité économique complexe que peu de gens connaissent.

Le temps, ce coût invisible mais énorme

Le premier facteur que les consommateurs sous-estiment, c’est le temps. Un Comté de 24 mois, ça veut dire 24 mois de cave, 24 mois de rotation, de soin, de surveillance. Dans ma cave, je retourne chaque meule tous les 15 jours minimum. Une meule de 40 kilos, ça ne se fait pas d’une main !

Pendant tout ce temps, le fromage ne rapporte rien. Pire : il coûte. Électricité pour les caves réfrigérées, personnel pour les soins, assurances, sans compter les pertes par évaporation. Une meule perd 8% de son poids en 24 mois. Sur 40 kilos, ça fait plus de 3 kilos qui partent en fumée !

Les contraintes de l’AOP : qualité maximale, rendement limité

L’AOP Comté impose des règles strictes qui ont un coût direct. Les vaches ne peuvent paître que sur 1 hectare par bête maximum, elles doivent être nourries avec des fourrages locaux, pas d’ensilage autorisé. Résultat : les rendements laitiers sont volontairement limités pour privilégier la qualité.

Dans ma région, un producteur de Comté produit 20% de lait en moins qu’un éleveur classique. Ce manque à gagner, il faut bien le compenser quelque part. Et c’est le prix du fromage qui l’absorbe.

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La sélection drastique qui fait flamber les coûts

Voici ce qu’on ne dit jamais : toutes les meules ne finissent pas en Comté. Lors du marquage officiel à 4 mois, environ 15% des meules sont déclassées. Elles partent en « Gruyère français » ou sont vendues comme « fromage à pâte pressée cuite » sans appellation.

Les fromagers et affineurs intègrent ces pertes dans leurs calculs. Quand vous achetez un Comté parfait, vous payez aussi pour les meules imparfaites qui n’ont pas pu porter le nom. C’est le prix de l’excellence.

Les frais d’affinage : un métier à part entière

L’affinage, c’est un savoir-faire pur. Dans ma cave, je surveille l’hygrométrie au degré près, la température au demi-degré. Mes caves coûtent une fortune en électricité – imaginez maintenir 12°C et 95% d’humidité 365 jours par an !

Et puis il y a les pertes. Parfois, une meule développe un défaut après 18 mois d’affinage. Tout est perdu. Ces risques, l’affineur les répercute forcément sur les meules qui arrivent à terme.

La filière artisanale : moins d’économies d’échelle

Le Comté reste largement artisanal. Mes producteurs font leurs fromages par lots de 8 à 12 meules maximum. Rien à voir avec une usine qui produit 200 meules d’un coup. Cette dimension humaine a un prix : pas d’automatisation poussée, pas d’économies d’échelle massives.

Chaque étape demande de la main-d’œuvre qualifiée. Faire du Comté, ça ne s’improvise pas. Il faut des fromagers expérimentés, et l’expertise, ça se paie.

Le transport et la logistique spécialisée

Une meule de Comté pèse 40 kilos et mesure 60 cm de diamètre. Impossible de la traiter comme un fromage industriel sous plastique. Il faut des camions spécialisés, une chaîne du froid respectée, des manipulations délicates.

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De la fruitière jusqu’à mon comptoir, la meule change de main 4 à 5 fois. Chaque intermédiaire a ses frais de fonctionnement et sa marge. C’est la contrepartie d’une filière de qualité qui respecte le produit.

La traçabilité totale : un système qui coûte cher

Chaque meule de Comté est traçable individuellement. Je peux vous dire quel jour elle a été fabriquée, par quel fromager, avec le lait de quels éleveurs. Cette traçabilité totale nécessite une administration considérable.

Plaques d’identification, registres, contrôles multiples… Tout cela représente des heures de travail administratif qui se répercutent sur le prix final. Mais c’est grâce à ce système qu’on peut garantir l’authenticité.

Les contrôles qualité permanents

L’interprofession du Comté emploie des techniciens qui sillonnent la région toute l’année. Ils contrôlent les exploitations, analysent les laits, vérifient les fromageries. Ces contrôles permanent coûtent cher, mais ils garantissent une qualité constante.

Quand vous achetez un Comté, vous payez aussi pour cette surveillance qui assure que le fromage dans votre assiette respecte scrupuleusement le cahier des charges.

Ma philosophie de fromager

Oui, le Comté coûte cher. Mais quand je vois le travail qu’il y a derrière, je trouve même qu’il n’est pas assez cher ! Nous parlons d’un produit qui mobilise des dizaines de personnes pendant des mois, sur un territoire préservé, avec des méthodes ancestrales.

Compare le prix au kilo d’un Comté 24 mois avec celui d’une côte de bœuf de qualité. Le fromage demande plus de temps, plus de savoir-faire, plus de risques. Et pourtant, on trouve normal de payer 40 euros le kilo pour la viande, mais on crie au scandale pour le fromage.

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Le vrai scandale, ce serait que le Comté soit bradé. Car brader le prix, c’est brader la qualité, et brader la qualité, c’est tuer une filière extraordinaire qui fait la fierté de nos montagnes jurassiennes.

Alors la prochaine fois que vous hésitez devant le prix, rappelez-vous : dans ce morceau de Comté, il y a 24 mois de patience, des générations de savoir-faire, et la garantie d’un plaisir unique. Ça n’a pas de prix. Ou plutôt si : ça a exactement le prix qu’il faut.

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